Chapitre 6 – Esprit du nouveau régime politique

Avant d’entrer dans la présentation des structures et des mécanismes essentiels au bon fonctionnement d’un régime sans partis, il m’importe de souligner dans quel esprit il oeuvrera, quelle âme l’inspirera, quelle morale le dirigera.  Ce point me semble particulièrement important.  On s’est tellement habitué à considérer et à vivre l’action politique en dehors de toute perspective éthique.  Comme si la politique n’était faite que d’affrontements sans merci, de « lignes de parti » implacables, d’opportunisme, de compromis douteux, de quête incessante du pouvoir, de la belle image, censément en vue de servir le bien commun!  Comme si l’action politique, à l’égal de toute action humaine et peut-être encore plus, ne devait pas être animée avant tout par de nobles valeurs, par des objectifs et des mobiles hautement éthiques!  À mes yeux, la politique est premièrement une morale de haut calibre, une vision de l’esprit, une exigence démocratique.

Foin de la partisanerie!

La partisanerie est à proscrire de la vie politique.  Les partis en sont une source directe et l’alimentent abondamment.  En les éliminant, on se trouve à en éradiquer un de ses principes moteurs les plus influents.  La partisanerie oblitère l’intelligence, lui fait perdre de sa lucidité et de sa perspicacité.  Elle pose des œillères à ceux qui s’en nourrissent.  Elle les mène à une vision plus étroite et racornie des êtres et des choses.  Par elle, ils s’engagent dans un tunnel de plus en plus ténébreux où il devient pratiquement impossible de juger du mérite personnel des hommes et des femmes, d’estimer la valeur intrinsèque des projets de loi à discuter, des mesures politiques auxquelles souscrire.  La partisanerie aliène l’esprit humain, elle le dépersonnalise.

Si vous abolissez les partis, vous offrez une meilleure garantie aux adeptes de la vie politique d’exercer un jugement impartial[1], de démontrer de l’objectivité dans leurs évaluations et décisions, de faire preuve d’ouverture d’esprit et de probité intellectuelle.  Évidemment, même sans partis politiques, il y aura toujours des politiciens partisans.  La partisanerie peut en effet se ravitailler à d’autres marchés alimentaires.  Il n’en reste pas moins qu’on peut la réduire de façon notable en abrogeant les partis politiques, en forçant ainsi leurs membres et les électeurs à ne plus penser et agir nécessairement comme leur parti, en disposant leur esprit à réfléchir par lui-même, à considérer les êtres et les choses selon leur mérite propre.  Cette attitude moins partisane présenterait sûrement l’immense avantage, entre autres, de personnaliser l’action politique des citoyens, au lieu qu’ils se laissent mener pas l’instinct grégaire.

La personnalisation

Je la vois au centre, au cœur même d’un nouveau régime sans partis politiques.  Par personnalisation, j’entends un engagement à titre personnel des citoyens dans l’action politique, hors de tout encadrement de parti, de toute « ligne de parti » qui les embrigade à son service.  Par exemple, un citoyen n’aura pas besoin de se faire approcher, enjôler et convaincre par un parti qui le convoite pour qu’il se présente comme candidat à la députation.  Ou encore il ne sentira pas la nécessité, qui vient du dehors de son être, de s’enrôler à un parti, de s’y inféoder, s’il veut poursuivre la même fin.  S’il veut devenir député, ce sera une décision qu’il devra prendre de manière tout à fait personnelle, seul avec lui-même, sans la béquille d’un parti qui lui trace la voie à suivre, qui lui dicte son programme, qui l’astreint à ses manœuvres et tactiques électorales, qui l’oblige à se donner la belle image qu’il doit exhiber.  Sans l’incorporation à un parti politique, sans son tutorat et sa régence, la personne doit puiser au fond d’elle-même, de façon tout à fait libre et autonome, pour se décider à la vie politique.

De leur côté, les électeurs n’auront pas à voter pour tel parti politique parce qu’ils veulent être reconnaissants envers un parti « bienfaiteur », parce qu’ils désirent avidement des contrats, un poste, des honneurs à recevoir du parti, parce que leurs ancêtres l’ont fait de génération en génération ou encore parce que eux-mêmes ont toujours, contre vents et marées, appartenu à ce parti, quoi qu’il fît et même s’ils ont été parfois déçus ou trahis.  Ils n’auront pas à voter pour tel candidat simplement parce qu’il représente leur parti, indépendamment de sa valeur personnelle et de la qualité du service public qu’il pourrait fournir.  Les électeurs devront forcément s’informer des mérites de ceux qui aspirent à la députation, au lieu de se fier aveuglément au jugement et au témoignage des partis qui les appuient.  Ils devront exercer leur esprit critique envers ces candidats, passer au crible leur vie et leurs œuvres, pour être bien sûrs qu’ils méritent leur vote, puisque les partis politiques ne seront plus là pour attirer et soutirer des votes à la place de leurs représentants.

Toutes ces nouvelles situations que créerait l’absence de partis tendent à une plus grande personnalisation de la politique.  La personne, avec sa liberté, son autonomie, ses qualités à elle qu’elle n’aurait pas empruntées de son parti, constituerait le noyau central autour duquel s’axerait et s’organiserait l’action politique.  Je donne à la personne la primauté sur le parti et sur tout groupe : c’est là ma philosophie, ma vision de la réalité.  La personne humaine possède sa valeur et sa dignité en elle-même.  Tandis que le groupe n’a de valeur que par l’excellence d’individus qui le composent, la conjugaison des forces vives qu’il rassemble, la grandeur des buts qu’il se fixe et l’utilité des moyens dont il se sert.  En résumé, le groupe n’est qu’un faisceau de relations qui se nouent autour de ses membres et dont la visée n’est autre que le bien des personnes à l’intérieur ou de l’extérieur du groupe.

Autant dire que le groupe est et doit être au service de la personne, et non cette dernière au service du groupe.  Cela n’implique pas du tout qu’une personne ne doive pas, ne puisse pas travailler dans et pour un groupe.  Elle peut se consacrer à son service mais, en ce faisant, elle finit toujours par rejoindre la personne humaine.  Car si le groupe pour lequel elle se dévoue poursuit des buts qui lui sont extérieurs, c’est en définitive pour le mieux-être des personnes qu’il entend rejoindre.  Si, d’autre part, le groupe recherche plutôt des objectifs qui lui sont intrinsèques, c’est finalement pour assurer de meilleures conditions de vie aux personnes qui en sont membres.  Il n’y a pas moyen d’y échapper : les groupes, somme toute, ne s’organisent et ne s’exécutent que pour les personnes.

J’ai démontré, dans la première section de l’ouvrage, comment les partis politiques dépersonnalisaient à bien des égards leurs membres et l’action politique.  Ils le font, parce qu’ils veulent, comme groupes, se faire élire et ainsi arriver au pouvoir.  C’est le parti politique, et lui seul dans la conjoncture actuelle, qui peut atteindre le pouvoir de gouverner.  Les personnes, en tant que députés individuels, ne sont là qu’à titre de simples moyens pour lui permettre d’y parvenir.  C’est précisément ici que j’y vois la dépersonnalisation la plus grave qu’opère le parti politique : il réduit ses personnes-députés au rang de purs instruments à son service, pour qu’enfin il puisse accéder au pouvoir.  Belle façon d’honorer la personne humaine et de respecter sa dignité inaliénable!

Il subsiste chez bien des gens une confusion déplorable que je tenterai de dissiper.  Parler de personne évoque aussitôt dans beaucoup d’esprits individu, individualisme, intérêts égoïstes.  Vouloir centrer l’action politique sur la personne, objectera-t-on à coup sûr, c’est prôner l’individualisme, rejeter toute cause commune, favoriser uniquement les préoccupations individuelles.  C’est exactement là que gît le lièvre!  On assimile à tort personne, action personnelle à individualisme.  Il est bien entendu qu’une personne peut n’être centrée que sur elle-même, son « petit moi », ne rechercher que ses aises individuelles, se foutre éperdument des autres, n’avoir en tête que ses intérêts purement égoïstes.  Cela se produit d’ailleurs pas mal plus souvent qu’on ne le pense.  Mais une personne a beau être individuelle, elle peut tout aussi bien concevoir un projet commun, se préoccuper du social, se fixer des objectifs altruistes, entreprendre des actions à portée générale et visant le bien d’autrui.  En ce sens, identifier personne à individualisme représente une erreur grossière qu’on se doit d’évacuer de son esprit.

Car le propre de l’intelligence qui scintille dans toute personne individuelle est précisément de pouvoir accéder à l’universel, de pouvoir générer des plans d’action collective, bénéfique à plusieurs personnes, de pouvoir concentrer sa lumière intérieure sur les autres pour être en mesure de les éclairer à leur tour.  C’est également le propre de la volonté qui préside à la destinée de toute personne individuelle de pouvoir étendre son champ d’action à de l’universel, de pouvoir construire des œuvres communes, de pouvoir mettre à exécution des projets à visée collective.

Il n’est pas du tout nécessaire et inévitable que l’intelligence et la volonté d’une personne individuelle se confinent à du pur individuel, n’entrent en opération que pour son profit strictement égoïste.  Il est donc carrément faux d’identifier personne à individualisme, de croire qu’une action politique centrée sur la personne humaine serait synonyme d’un travail purement égocentrique, d’une désagrégation du social, d’un émiettement individualiste des forces collectives.  La personnalisation de la politique ne s’avère pas antinomique, loin de là, à la recherche du bien commun.  Au contraire, un régime bannissant les partis politiques qui aliènent la personne rendrait les citoyens plus éveillés et attentifs à la chose publique, permettrait aux députés de se soucier davantage du bien-être collectif.

Le service du bien commun

J’ai déjà établi, dans la première section de l’ouvrage, que les partis politiques ne pouvaient pas, en tant que tels, viser d’abord et avant tout le service du bien commun.  Leur mission première est de se faire élire et d’obtenir ainsi le pouvoir.  Si certains groupements, différents des partis politiques, peuvent en fait rechercher un bien commun comme objectif primordial, c’est uniquement parce que leurs leaders et leurs membres se l’assignent d’abord personnellement et individuellement, pour le communiquer ensuite à leurs groupements.  En fin de compte alors, seules des personnes individuelles peuvent être à l’origine d’une visée de service du bien commun.

Une fois les partis politiques abolis, les personnes qui veulent, par l’action politique, se consacrer premièrement au service du public peuvent le faire plus aisément et plus librement.  L’élection qu’ils désirent gagner n’est plus qu’un moyen pour eux d’atteindre leur but.  Pourquoi la victoire électorale n’est-elle qu’un moyen pour les candidats individuels qui se présentent en l’absence de tout parti politique, alors qu’elle serait une fin pour les partis politiques?  Tout simplement parce que la victoire électorale d’un parti représente pour lui le plein pouvoir gouvernemental, assez puissant et attractif pour devenir une fin à rechercher.  C’est le parti comme tel qui met la main sur la structure collective du pouvoir étatique.  Amplement de quoi constituer une fin bien alléchante!  Tandis que la victoire électorale d’un candidat individuel, s’il n’existe pas de partis, ne lui apporte pas le pouvoir total de régir l’État.  Il n’acquiert que le pouvoir de se vouer au service du public, en compagnie des autres députés individuels qui obtiennent la même possibilité.  La victoire signifie donc tout à fait autre chose pour le parti lui-même que pour le député individuel élu en l’absence de partis politiques.

Certes, dans les partis politiques, on peut trouver des candidats qui personnellement recherchent d’abord le bien commun, mais ils doivent, s’ils veulent exercer leur action bienfaisante, passer par le prisme déformant du parti qui, lui, ne vise premièrement que le pouvoir de gouverner.  Le parti fait écran à leurs généreux desseins qui souvent sont condamnés par lui à rester lettre morte.  Surtout si les députés du parti ne sont pas nommés ministres!

Par ailleurs, sans partis politiques, il peut assurément survenir que des candidats se présentent sous la poussée de mobiles individualistes, peu nobles et désintéressés, en dehors même de toute perspective de bien commun.  L’absence de tout parti fournira alors plus facilement aux citoyens l’occasion, comme je l’ai relevé plus haut, de les évaluer à leur mérite personnel, de porter directement leur regard critique sur eux, dénudés qu’ils seront de l’abri dont les couvre le parti.  De plus, les conditions, que je soumettrai plus tard, dans lesquelles tous les candidats devront briguer les suffrages permettront aux électeurs de juger de quel bois ils se chauffent.  Ils pourront ainsi refuser leur vote à ceux dont le passé n’est pas tellement garant de l’avenir, à ceux dont les intentions paraîtraient suspectes.

Nonobstant la possibilité qu’en raison de l’ « hommerie » (et aussi de la « femmerie »!) des candidats animés d’objectifs plus douteux passent quand même à travers les mailles du filet électoral, il n’en reste pas moins que l’abolition des partis politiques donnerait nettement plus de chances à ceux qui veulent avant tout servir le public de réaliser leur dessein altruiste.  Le parti ne serait plus là pour les écarter de la course parce qu’ils seraient « dérangeants », menaçants même.  Le parti ne serait plus là pour offrir des bonbons à ceux qui en veulent.  Il ne serait plus là pour faire rejaillir sur ses élus la gloire, les honneurs, les privilèges du pouvoir.  À moins de vouloir tricher, de vouloir berner les électeurs, les candidats à la députation n’auront d’autre intérêt que de se consacrer à leur service plutôt qu’à celui de leur parti.  La recherche du bien commun serait clairement plus assurée dans l’hypothèse où les partis politiques ne seraient plus dans les jambes de ceux qui se préoccupent du mieux-être de la société.

Le dialogue et la coopération entre les députés

Les élus ne sont plus membres d’un parti politique.  En ce sens, ils sont tous sur un pied d’égalité.  Il n’y a plus de députés gagnants, agrégés à un parti triomphant, détenteur du pouvoir.  Il n’y a plus de députés perdants, marinant dans l’amertume de la défaite, faisant partie d’un groupe d’opposition.  Ils sont tous victorieux, autant l’un que l’autre.  Ipso facto l’atmosphère se modifie complètement.  Les députés n’ont plus à défendre à tout prix les positions d’un parti, c’est-à-dire d’un premier ministre et de son cabinet ministériel, comme les députés du pouvoir doivent le faire présentement.  Pas plus qu’ils n’ont à combattre coûte que coûte la politique d’un autre parti, comme les députés d’opposition s’y voient forcés actuellement.  Il n’y a plus d’ennemis à pourfendre, à terrasser!

Tous les députés se trouvent du même coup dans l’obligation de se parler civilement, de dialoguer sans œillères et avec ouverture d’esprit, de coopérer dans le service du bien commun à garantir le mieux possible.  C’est évident que les divergences de vues, parfois profondes, se manifesteront, que les préoccupations économiques, sociales, politiques et culturelles ne seront pas identiques, loin de là!  Mais les députés, délestés de la lourde gangue où les enfermait un parti, n’auront d’autre choix que d’étaler publiquement leur prises de position devant leurs collègues, d’en discuter honnêtement ensemble, d’en arriver, par l’argumentation, la persuasion et, s’il y a lieu, par des compromis honnêtes, à des décisions majoritaires porteuses de bénéfice pour l’ensemble de la population.

Le dialogue et la coopération nécessitent un climat bien particulier.  Comment voulez-vous qu’ils soient possibles sur un champ de bataille, entre ennemis mortels?  Une atmosphère partisane et belliqueuse, d’arène de boxe, comme celle engendrée par les partis politiques, ne peut être propice à l’examen attentif et prolongé des questions en elles-mêmes, selon leur teneur objective, à des débats d’idées francs et lucides même s’ils sont vigoureux et passionnés, à un dialogue constructif des députés en vue de la meilleure solution, à une coopération bienveillante entre eux pour le bien du pays.  Sur le terrain de lutte que s’aménagent les partis politiques par leur affrontement continuel, ils pensent davantage à triompher des personnes et des partis adverses qu’à faire éclater au grand jour la lumière crue de mesures et de lois aptes à procurer aux citoyens plus de justice, d’équité, d’autonomie et de liberté.

Le dialogue et les échanges de vues fondés sur la raison et le souci du bien commun exigent une atmosphère de confiance réciproque et de respect mutuel.  Ils ne peuvent s’établir dans un contexte de guerre et de rapports de force pugilistiques.  Au lieu de se battre opiniâtrement pour sauver la peau de leur parti, les députés n’auront qu’à débattre entre eux, finalement qu’à coopérer, en dehors et au-dessus de toute « ligne de parti ».  L’Assemblée nationale pourrait devenir ainsi non pas une arène politique où s’échangent de vilains coups, mais une sorte d’agora publique où se livrent des débats passionnants entre députés seulement fidèles à eux-mêmes et où se prennent des décisions éclairées par des personnes avant tout soucieuses du bien commun.  De la sorte, on reproduirait dans une société moderne l’agora de la Grèce antique, qui a tant contribué à l’avènement de la démocratie dans le monde.

Une démocratie plus forte pour les citoyens

Une action politique sans partis est de nature à décupler le sens civique et démocratique des simples citoyens.  D’abord, un plus grand nombre de personnes seraient enclines à participer activement aux campagnes électorales.  Actuellement, ces dernières sont le lot pratiquement exclusif des partis politiques.  Ils se les approprient, comme s’ils en étaient les seuls maîtres.  Ainsi le veut le présent régime gouvernemental, ainsi le veut la structure même des partis politiques.  Ils sont là pour s’occuper des campagnes électorales, étant donné qu’ils sont là pour parvenir au pouvoir.

Cet état de choses devient réducteur par son essence même.  Il fait en sorte que seuls les militants des partis s’engagent activement dans la préparation, l’organisation et le déroulement des campagnes électorales.  Les partis politiques sont comme des couloirs relativement étroits dans lesquels doivent s’engouffrer les militants, s’ils désirent participer d’une manière ou de l’autre à la course électorale.  Leur nombre est ainsi restreint à quelques milliers de personnes plus enthousiastes et plus partisanes que les autres, qui sont prêtes à sacrifier de leur temps, de leur argent et de leur énergie pour que leur candidat et leur parti s’assurent de la victoire.

Et encore, ils sacrifient même de leur autonomie, de leur liberté de pensée, de parole et d’action parce que le parti leur impose ses propres idées, ses propres discours et sa propre ligne de conduite.  Dans l’effort qu’ils fournissent pour permettre le triomphe de leur candidat et de leur parti, les militants doivent s’en tenir non seulement à la façon, décrétée par les leaders du parti à l’intérieur des comtés ou à l’échelle nationale, de mener la campagne électorale mais aussi, et peut-être encore plus, à la belle image que le candidat député et le parti veulent absolument projeter sur le public.

Vu que les partis politiques se chargent des élections, le citoyen est porté à s’en remettre à eux pour les conduire selon leur gré.  Il se fie aux prouesses et à la force des partis pour que le tout se déroule sans encombres et avec efficacité, à la satisfaction des partisans.  L’ensemble des électeurs n’a pas un mot à dire sur la mise en place du programme électoral des partis, sur les moyens à utiliser pour qu’il soit accepté par la population.  Ils assistent plutôt en spectateurs au déroulement des campagnes, un certain nombre attentifs, vigilants et l’œil critique, le plus grand nombre plus ou moins intéressés à ce spectacle qui se joue sans eux.  Rien de surprenant dès lors que de plus en plus d’électeurs s’abstiennent de voter, et finissent par ressentir de l’indifférence, voire du mépris et du cynisme à l’égard des partis, des politiciens et de leurs campagnes électorales.

Avec l’abolition des partis politiques, les citoyens n’ont plus à payer de cotisation, à obtenir une carte de membre ou à épouser l’idéologie (si elle existe!) et le programme d’un parti pour s’occuper activement d’une campagne électorale.  Dans le nouveau régime sans partis que je propose, n’importe quel citoyen honnête, moyennant conditions que j’énoncerai plus loin, pourra se présenter comme candidat dans son comté.  Ceux qui veulent l’appuyer, qui sont en synthonie avec sa personne, ses idées, ses projets n’auront plus à affronter la puissance financière, technique et organisationnelle des partis pour lui apporter leur aide.

Le fait d’être ainsi libéré d’une lutte inégale entre une personne et le Goliath collectif des partis est de nature à susciter l’engagement d’un plus grand nombre de citoyens à s’occuper activement des campagnes électorales.  Ils pourront plus facilement fournir leur contribution, sous toutes sortes de formes, au candidat qu’ils favorisent.  Il est sûrement plus aisé d’exercer une certaine influence bienfaisante sur une seule personne que sur un parti déjà fortement constitué et en fait contrôlé par ses leaders.  Un tel régime sans partis, avec des élections de candidats se présentant sur une base strictement personnelle, est incontestablement une invite directe à une plus grande participation des citoyens à la vie politique, et donc à l’exercice d’une démocratie plus active, plus égalitaire, plus saine et plus étendue.

Les partis politiques opèrent forcément des brisures dans le tissu d’une société.  Ils construisent des factions sociales ennemies les unes des autres, sur le fondement parfois de quelques idées maîtresses, souvent de programmes électoraux purement tactiques.  De telle sorte que la société, en plus de se diviser inévitablement en classes sociales riches ou pauvres, scolarisées ou pas, détentrices de pouvoir ou pas, se fracture aussi plus ou moins facticement, sous l’action des partis, en groupes irréductibles, travaillant les uns contre les autres, se cherchant noise et destruction.  Où est là-dedans la conjugaison des forces vives d’une société, pour le mieux-être des citoyens?  On s’oppose à tel candidat, même s’il est valable, parce qu’il est de tel parti.  On appuie tel autre candidat, même s’il est médiocre, parce qu’il représente tel autre parti.  Je n’y vois rien là d’une démocratie ouverte et très éclairée.

Abolissez les partis politiques, et vous avez de bien meilleures chances de regrouper les forces politiques d’un pays.  Pas sur la base incertaine d’un seul projet, si souverain soit-il, d’un seul programme, si rusé soit-il, d’une seule couleur, si éclatante  soit-elle, mais sur les assises solides de citoyens méritants, désireux de servir le bien public à titre personnel, prêts à faire fructifier leurs ressources riches et variées, quel que soit leur âge, leur sexe[2], leur couleur, leur langue, l’horizon social et culturel auquel ils appartiennent.

L’énorme richesse et variété des aptitudes contenues dans le réservoir des citoyens du Québec pourra s’écouler librement, si vous faites sauter les digues des partis politiques qui la contiennent et l’empêchent d’éclater au grand jour.  Comme je vois les choses présentement, les partis servent plutôt de frein à l’expansion politique et sociale d’un pays comme le Québec.  Ils enserrent les citoyens dans des choix qui souvent n’en sont pas de véritables (à défaut du meilleur, on choisit le moins pire, ou encore on ne choisit pas du tout!).  La démocratie a tout à gagner en laissant aux citoyens la possibilité de s’autodéterminer vraiment dans leur action politique, hors du grappin des partis.  Après l’autodétermination politique du Québec, c’est celle des citoyens qui est à conquérir!

»» lire la suite du livre

[1] Impartial : dans le contexte de mes propos, il faut noter la pertinence de cet adjectif et la richesse de sa signification.  Étymologiquement, il se compose du préfixe privatif « im » et du nom « parti » : hors de tout parti, sans parti pris.

[2] Il est à parier qu’avec la disparition des partis, les femmes auront davantage le goût et la volonté d’offrir leur candidature à la députation.  Elles n’auront plus à guerroyer à l’intérieur des partis ou contre eux pour se faire reconnaître à leur valeur propre.  Les partis politiques demeurent toujours en grande part des forteresses détenues et défendues par des mâles.

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