Chapitre 1 – La quête du pouvoir

Ce qui m’apparaît le vice le plus fondamental des partis politiques, c’est leur quête du pouvoir comme fin première et immédiate à rechercher.  Ils ne la poursuivent pas tous de la même manière, à vrai dire.  En fonction des sortes de partis politiques que je distinguerai un peu plus loin, ils la visent selon des modalités et des nuances différentes.

Mais tous se rassemblent sous le dénominateur commun suivant : la conquête du pouvoir.  Un parti politique ne naît et ne s’organise que pour acquérir éventuellement du pouvoir.  Soit de façon absolue, en gouvernant lorsqu’il est élu majoritairement, soit de façon relative, en faisant élire le plus grand nombre possible de ses candidats pour constituer l’opposition officielle avec son pouvoir et ses privilèges propres ou, faute de mieux, pour obtenir la plus grande force de frappe possible.

On ne peut reprocher aux partis politiques de rechercher ainsi le pouvoir.  C’est là leur principale raison d’être.  Sans elle, ils ne sauraient même exister[1].  Si un certain nombre de personnes décident de se grouper en un parti politique, si elles cherchent à recruter de nouveaux membres, à s’amasser de l’argent, à sélectionner des candidats en vue d’une prochaine campagne électorale, c’est évidemment avec l’objectif premier d’obtenir du pouvoir politique sous une forme ou l’autre.

Si on ne peut faire grief aux partis politiques de se mettre avant tout en quête du pouvoir, il faut tout de même prendre conscience qu’une telle orientation, par nature, entraîne beaucoup d’abus auxquels ils ne peuvent échapper.  J’en ferai état tout au long de cette première section.  Inexorablement, les partis politiques s’obligent à causer toutes sortes de méfaits au fur et à mesure qu’ils se consolident et envisagent sérieusement la prise du pouvoir gouvernemental.

Il existe une différence énorme, d’ordre structurel, entre rechercher le pouvoir pour le pouvoir, comme fin première et immédiate, quitte après coup à travailler le mieux possible au bien-être commun, et rechercher d’abord et avant tout le service de la collectivité, quitte à se faire élire pour atteindre ce but.  Dans le premier cas, le pouvoir est visé comme fin; dans le deuxième, comme simple moyen.  La différence est de taille, de caractère essentiel, et porte à de graves conséquences.

J’irai même jusqu’à dire qu’un parti politique, en tant que tel, ne peut s’assigner le service public comme fin première et immédiate.  Il lui faut absolument et avant tout, comme groupe, triompher d’abord auprès de l’opinion générale, faire élire ses candidats en plus grand nombre possible et, à défaut d’atteindre le pouvoir de gouverner, obtenir la plus large part de pouvoir politique.  En sens contraire, seuls des individus peuvent générer un engagement axé d’abord et premièrement sur la recherche du bien commun.  C’est là un des paradoxes les plus étonnants auxquels se trouve confrontée l’expérience humaine.  Par sa vision intelligente des problèmes sociaux, par son désir altruiste d’améliorer le sort de ses semblables, un individu, bien que seul, peut se hisser au niveau général d’un service collectif à rechercher avant toute chose.  Tandis qu’un parti politique, bien que de nature collective, se voit obligé à viser d’abord et immédiatement sa réussite à lui par voie électorale, et donc à descendre au niveau plus bas de ses propres intérêts partisans en tant qu’organisation particulière.  Le collectif d’origine que constitue le parti politique se ravale ainsi au rang d’un groupe à visée singulière, tandis que l’individu ci-haut mentionné s’élève, lui, à la hauteur du général et de l’universel.

Je ne veux pas dire par là qu’il soit assuré que toute personne s’impliquant dans l’action sociale ou politique poursuive par le fait même l’objectif premier et immédiat du bien commun.  L’expérience le démontre souvent : quelqu’un peut n’y rechercher d’abord que ses propres intérêts individuels, de quelque ordre qu’ils soient.  Inversement, un organisme social ou même politique (pas un parti!) peut évidemment s’assigner de façon première et immédiate la poursuite d’un mieux-être collectif dépassant ses propres bornes.  Bien des groupements le font, et merveilleusement d’ailleurs : par exemple, des organismes de charité ou de justice sociale dans la lutte contre la pauvreté, dans la revendication ou la défense de droits sociaux.

Ces propos n’entrent pas en contradiction avec ce que j’ai affirmé plus haut, à savoir que seuls des individus peuvent rechercher le bien d’une collectivité comme objectif primordial de leur action.  En effet, si des organismes ou mouvements sont capables de travailler prioritairement à la réalisation d’un mieux-être collectif, c’est uniquement parce que leurs fondateurs et leurs membres sont déjà individuellement animés par un tel objectif et peuvent conséquemment les mettre sur pied et les faire fonctionner dans ce sens, en leur insufflant leur propre esprit de service du bien commun.  Ce sont donc les individus eux-mêmes qui constituent la source première et unique de cette action au profit d’une collectivité.  Les groupements qu’ils organisent n’en sont que l’incarnation et le prolongement.  Ils peuvent l’être parce que leur structure même et leur dynamique ne présentent aucun obstacle qui les empêche de s’inspirer de l’idéal de leurs militants et de poursuivre leurs mêmes buts qu’eux.  Ces groupements n’exigent pas, pour entrer en action, une condition préalable étrangère à leur objectif et susceptible de les en faire dévier.

Tel n’est pas le cas des partis politiques qui, eux, ont absolument besoin de passer par l’étape de l’approbation électorale.  Cette condition nécessaire les oblige à canaliser leurs efforts vers une autre fin immédiate que celle de servir en premier lieu la population, celle plutôt d’obtenir par le vote une forme quelconque de pouvoir politique.  Par le fait même, les partis politiques sont poussés à poursuivre des intérêts strictement partisans.

Les partis politiques sont donc condamnés à n’avoir en vue premièrement que la quête du pouvoir gouvernemental, en tout ou en partie.  S’ils n’y réussissent pas, ils perdent par le fait même leur raison primordiale d’exister.  Par contre, un individu qui, par lui-même seulement, se donne librement l’objectif prioritaire d’œuvrer sur le plan politique pour le bien commun de toute une société et qui, à cette fin, choisit la voie électorale est évidemment heureux si le peuple opte en sa faveur.  Mais s’il n’est pas élu, si forte soit sa déception, il n’en fait pas tout un plat.  Un cataclysme ne lui tombe pas forcément sur la tête.  Surtout, il ne perd pas sa raison d’être.  À l’encontre du parti politique, il ne ressent pas le besoin essentiel d’être élu pour concrétiser son désir fondamental de se vouer au service du public.  Il peut le faire de mille autres façons, sous d’autres modalités, d’ordre peut-être moins universel que l’action strictement politique et gouvernementale, mais qui peuvent quand même se révéler bénéfiques à la société.  Les conséquences d’un rejet par l’électorat s’avèrent ainsi beaucoup plus désastreuses pour les partis politiques en quête avant tout du pouvoir que pour des candidats individuels recherchant en priorité le bien commun.

La situation d’un individu affrontant l’électorat peut différer selon deux variables : les dispositions intérieures qui l’inspirent face à l’élection et le contexte politique dans lequel il encadre ou pas sa démarche.  Cela donne lieu, entre autres, à quatre situations différentes où les enjeux varient sensiblement et qui entraînent des conséquences fort dissemblables.

La première met en place un candidat qui se présente sous l’étiquette d’indépendant voué directement à la recherche du bien commun mais devant lutter contre d’autres candidats appartenant à des partis politiques.  Ce candidat est devenu indépendant, soit parce qu’il a été expulsé de son parti pour toutes sortes de raisons idéologiques ou autres.  C’est le cas, notamment, de la députée libérale Carolyn Parrish, à Ottawa, qui fut chassée de son parti pour une attitude et des propos jugés irrévérencieux à l’endroit du président Bush et des États-Unis.  Soit parce qu’il s’est de lui-même retiré de son parti, encore une fois pour des motifs idéologiques ou autres.  C’est le cas, entre autres, du député libéral Yves Michaud, à Québec, qui a quitté son parti par désaccord avec sa politique linguistique et du ministre Lucien Bouchard, à Ottawa, qui a claqué la porte du Parti progressiste-conservateur relativement à la question des accords du lac Meech.  Enfin, troisième conjoncture plus rare, le candidat, n’ayant jamais été député au sein d’un parti, se présente tout simplement comme indépendant.

Dans les trois cas, le candidat fait face à des machines électorales puissantes qui n’ont de cesse, surtout s’il est connu et aimé de la population, de le vilipender, de le faire trébucher, de l’écraser littéralement.  Entre effectivement en action le jeu féroce des partis politiques qui, lors d’une campagne électorale, se déroule contre tous les adversaires politiques, en premier lieu contre celui le plus susceptible de gagner l’élection.  Le candidat indépendant, le plus souvent sans les ressources humaines, techniques et financières dont disposent les gros partis politiques, possède très peu de chances de se faire élire.  Si, par bonheur pour lui, il parvient à passer entre les mailles du filet, il est pratiquement condamné à l’impuissance politique.  Assis au fond de l’Assemblée des députés, presque invisible, ne jouissant d’aucun droit de parole, il ne peut exercer aucune influence décisive sur le gouvernement et ne peut réaliser d’aucune manière son objectif de contribution au bien de la société.  Si c’est une personne méritante, aux idées riches, aux projets sociaux nobles et féconds, ils ne lui servent à rien dans le cadre où il se trouve désormais enfermé.  Les partis politiques, par leur structure même et leur fonctionnement, le broient implacablement et le réduisent à néant.  Rien de surprenant dès lors qu’il y en ait si peu qui se présentent comme candidats indépendants ou qui demeurent longtemps comme députés indépendants.  En général, les gens ne sont pas masochistes à ce point!

La deuxième situation est celle d’un individu qui brigue un mandat de député, cette fois comme membre d’un parti politique, mais qui, dans son for intérieur et contrairement à son parti, attribue la première importance à sa volonté de servir le bien commun plutôt qu’au désir d’être élu à tout prix.   Heureusement pour la société, il s’en trouve encore de ces personnes sincères, généreuses, dévouées à l’action politique désintéressée et qui mettent l’avancement de leur pays au-dessus de leur propre élection et de leurs intérêts personnels.  Puisque ces personnes se présentent sous la bannière de leur parti, elles sont d’accord avec les lignes maîtresses de son programme, à moins que secrètement elles n’escomptent par leur influence en changer l’orientation.

Ce sont généralement des personnes aux fortes convictions sociales et politiques, dotées d’un sens critique aigu, et qui n’hésiteront pas, s’il le faut, à jouer les trouble-fête au sein de leur parti ou du gouvernement, à mettre en péril leur siège de député ou leur ministère pour rester fidèles à eux-mêmes.  Ce fut le cas récemment du ministre libéral Yves Séguin qui fut démis de son ministère des Finances à cause principalement de sa lutte contre le déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces et qui décida par la suite de quitter la politique.  On peut relever aussi comme autres exemples René Lévesque qui abandonna le Parti libéral de Jean Lesage pour fonder son propre parti, et la brochette de ministres péquistes qui, en 1984, ont démissionné de leur poste en raison de la politique de « dernière chance » au fédéral prônée par leur chef René Lévesque.

La troisième situation se rapporte aux individus membres d’un parti politique qui avant tout, comme celui-ci, désirent être élus.  Ceux-là peuvent être animés de bonnes intentions et vouloir, une fois élus, se consacrer au service de leur pays.  Mais leur marque distinctive, c’est qu’ils sont par-dessus tout des partisans, qui mangent et boivent de leur parti, qui en épousent complètement les exigences et l’objectif premier : celui de gagner l’élection et d’arriver au pouvoir.  Ils sont inféodés au parti, ils en acceptent pleinement les stratégies et le programme, qui ne peuvent être autres que ceux définis et décrétés par la direction.  En tant que candidats à l’élection, ils ne pensent et n’agissent que par et pour le parti et sous son impulsion.  Ce sont des obéissants, des « suiveux ».  Tout ce que leur parti proposera,, ils l’adopteront sans coup férir.  Les vues et l’action du parti sont leur Bible.

Au fond, ils ne constituent que des rouages du parti, nécessaires pour qu’il remporte la victoire et accède au pouvoir.  Ils deviennent avant tout de simples instruments du parti, choisis peut-être pour leur mérite personnel, mais davantage parce qu’ils représentent aux yeux du parti les meilleurs espoirs pour un triomphe électoral.  En définitive, ils ne sont que des personnes « de service », là en premier lieu pour assurer le nombre fatidique d’une majorité d’élus.  Car, dans le système actuel des partis politiques et du gouvernement, un parti politique n’a besoin que du nombre pour parvenir au pouvoir de gouverner, que le chef peut alors exercer avec seulement une poignée de ministres jugés plus méritants.  Les autres élus du parti au pouvoir en sont réduits au rôle de simples « figurants » dans le spectacle des jeux partisans de l’Assemblée des députés.

La quatrième situation serait celle d’individus se présentant à des élections alors que tout parti politique serait aboli.  N’ayant pas à se situer dans le cadre contraignant d’un parti et à se plier à ses exigences surtout stratégiques, ne visant pas directement le pouvoir de gouverner puisque ces individus seraient seuls avec eux-mêmes et ne représenteraient chacun aucune possibilité d’accéder au pouvoir gouvernemental via un parti, ils feraient face à l’électorat principalement parce qu’ils veulent se dédier à la chose publique, entreprendre par-dessus tout une œuvre de construction et d’amélioration de leur société[2].  Aucun parti politique ne serait dans leurs jambes pour les forcer à la quête du pouvoir  pour le pouvoir.

Dans ce contexte, l’élection de chaque individu ne pourrait signifier pour lui la conquête du pouvoir global de régir un pays.  Nul parti politique ne s’amènerait pour additionner ses élus individuels et proclamer : voilà, j’ai le nombre voulu de députés pour gouverner, je le fais donc.  En l’absence de tout parti politique, chaque candidat individuel ne pourrait se dire que ceci : je demande à la population de contribuer à ma manière à l’essor de mon pays et si je suis élu, j’y travaillerai de mon mieux, de concert avec mes autres collègues.

Évidemment, cette quatrième situation n’existe pas actuellement; elle est encore purement hypothétique.  Mais c’est celle que je favorise nettement, qui m’apparaît la plus susceptible d’aiguiser la conscience civique, de nourrir l’esprit de solidarité, de galvaniser les meilleures forces politiques d’une société par delà toute différence ethnique, culturelle, linguistique, religieuse, bref de rendre un pays encore plus véritablement démocratique.  Au surplus, j’ai la ferme conviction qu’une telle solution aux nombreux et graves méfaits que produisent les partis politiques sera réalisable un jour, ici au Québec et dans d’autres pays.

Les partis stratégiques

Dans leur quête du pouvoir, les partis politiques ne se comportent pas tous de la même manière.  Il faut distinguer différentes sortes de partis.  Je les coifferais sous deux grandes catégories.  Ces observations s’appliquent directement au système politique fédéral d’Ottawa et à ceux des autres provinces, y compris le Québec.  Elles peuvent aussi, le cas échéant, convenir à ceux d’autres pays.

Il y a d’abord les partis politiques que je nommerais stratégiques.  Ce sont les Parti libéral et le Parti conservateur.  La stratégie électorale y prédomine carrément, en vue de parvenir au pouvoir.  Au premier chef, la vision globale d’une société ne les intéresse guère, pas plus que les prises de position idéologiques sur la justice sociale, sur la répartition équitable des biens, sur les libertés collectives et individuelles, sur les droits et devoirs des citoyens.  C’est au contraire le pouvoir de gouverner le pays ou les provinces qui sollicite avant tout leur attention.  Voilà pourquoi ils cherchent d’abord à concocter des programmes électoraux capables d’appâter les électeurs et de les faire voter en leur faveur.  Ils s’alignent plutôt sur ce qu’ils perçoivent des besoins les plus criants de la population.  Ils présentent alors tout un arsenal de mesures administratives et de lois éventuelles qui feraient partie de leur action politique s’ils étaient élus.

Mais souvent leur approche des besoins de la population se traduit en promesses exagérées, irréalisables, fallacieuses, proférées à tort et à travers par pur désir de séduire l’électorat.  La dernière campagne électorale du Parti libéral du Québec en constitue un exemple frappant : ses promesses ne se sont pas concrétisées, sa gouverne politique les a démenties.

D’ailleurs, bien des éléments des programmes de ces partis stratégiques sont volatils au gré de la conjoncture et interchangeables d’un parti à l’autre, comme un vêtement unisexe.  Tantôt on les met de l’avant, tantôt on les laisse de côté, selon les circonstances favorables ou non.  Tantôt, c’est le Parti libéral qui prône la réduction de la dette, la baisse des impôts, le contrôle serré des dépenses, l’aide financière aux grandes corporations industrielles et commerciales, tantôt c’est le Parti conservateur.  Ces partis ne nourrissent pas la plupart du temps de convictions idéologiques inébranlables.  Ils peuvent facilement changer d’avis, de conduite et se contredire du jour au lendemain, quand la quête du pouvoir en est l’enjeu.  À un moment donné, le Parti conservateur veut à tout prix renverser le gouvernement minoritaire; quelques jours plus tard, il s’y refuse parce que les électeurs lui sont moins favorables.

Si le Parti conservateur propose telle orientation politique ou telle mesure concrète, le Parti libéral inévitablement s’y opposera, en prendra le contre-pied, simplement pour s’en distinguer, s’en démarquer, avoir l’air de présenter un programme original, qui lui soit propre, et ainsi pouvoir livrer bataille devant l’électorat.  Car il faut absolument – les règles de leur jeu électoral l’exigent – que les partis politiques s’opposent, entrent en guerre.  Mais une fois au pouvoir, on sait très bien que le parti élu peut assez facilement délaisser sa position et adopter celle du camp adverse.  Le Parti libéral d’Ottawa en a offert des illustrations éloquentes.  En campagne électorale, il s’opposait au libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique prôné par le Parti conservateur.  Une fois élu, il l’appuya sans sourciller.  En campagne électorale, il promettait d’abolir la TPS instituée par le Parti conservateur; une fois élu, il ne fit autre chose que la maintenir.  Où sont les convictions politiques solides, dans ce jeu artificiel, maintes fois puéril, des luttes de partis pour le pouvoir?

Dans les campagnes électorales que mènent les partis politiques stratégiques, prévalent en effet les rapports de force entre eux et avec les électeurs.  Les partis stratégiques se cherchent toujours noise entre eux.  Parfois même ils usent réciproquement de violence verbale et morale.  Trop souvent aussi, ils violent sans vergogne la population par le tape-à-l’œil racoleur, la mystification, la grossière exagération, voire la duplicité et le mensonge.  Ces rapports de force entre partis politiques n’équivalent pas du tout, loin de là, à ceux qui s’établissent, par exemple, entre syndicats et patrons soit privés, soit publics, lors de négociations collectives.  Dans ces dernières, il n’existe pas de tierce partie de laquelle on essaierait de soutirer le vote et le pouvoir.  La confrontation entre patrons et syndicats est immédiate et exclusive.  Chaque partie dès lors a tout intérêt à faire valoir ses propres besoins et exigences, à définir et défendre ses positions, donc sa propre vérité, si contraire soit-elle à celle de l’autre partie, quitte à en arriver finalement à des compromis honorables.

Au contraire, dans la lutte électorale des partis politiques, l’enjeu réside totalement dans la population elle-même de qui on attend le pouvoir.  Elle ne peut négocier directement avec les partis politiques.  Ceux-ci ont donc tout intérêt à enjôler l’électorat spectateur, à le manipuler, pour qu’il leur confère le pouvoir.  C’est une invite on ne peut plus directe à la mascarade, c’est-à-dire à une prestation visant à masquer sa candidature sous des dehors à la fois attrayants et trompeurs.  Le dernier discours politique de Pierre Elliott Trudeau, à la veille du référendum de 1980, en est une illustration parfaite.

Chaque fois qu’un parti stratégique tombe dans l’opposition, encore plus s’il essuie une cuisante défaite qui ne lui laisse qu’une poignée de députés, il ressent alors le besoin de brasser quelques idées.  Ce besoin est déterminé bien davantage par sa soif de revenir au pouvoir que par son goût d’une pensée profonde et novatrice, d’une nouvelle orientation de fond qui puisse rencontrer et résoudre les vrais problèmes du pays ou de la province.  On s’empresse à ce moment de créer des commissions politiques ou de réanimer celles déjà existantes, soi-disant pour se renouveler dans ses idées et intentions, mais en définitive pour mieux rebondir devant l’électorat avec une bouille plus attirante et décrocher de nouveau le pouvoir.

Bref, pour tout résumer en une formulation lapidaire, plus un parti politique est âgé et a vécu souvent et longtemps l’expérience de la gouverne, plus il devient stratégique et place en avant-scène, de façon patente ou voilée, son désir incoercible du pouvoir total.  Sans revêtir un caractère absolu, c’est là, m’apparaît-il, une loi sociologique démontrée par l’expérience humaine.

Les partis idéologiques

D’autres partis politiques représentent ce que j’appellerais des partis idéologiques.  Ils se distinguent soit par la recherche d’un objectif général de transformation profonde du statut politique d’une société, soit par des idéaux de justice sociale, d’élimination de la pauvreté, de développement durable dans le respect des ressources naturelles et de l’environnement, de distribution équitable des biens matériels, de promotion et de défense des droits fondamentaux de la femme et de l’homme en matière de santé, d’éducation, de sexe, de langue et de religion.

Je compte le Parti québécois parmi les partis idéologiques, toutefois avec de fortes nuances.  S’il est loisible actuellement de le considérer encore comme parti idéologique, c’est uniquement parce qu’il met au cœur de son programme l’atteinte de la souveraineté politique du Québec.  À sa fondation et dans les premières années de son existence, il joignait à sa visée de l’indépendance politique du Québec un projet global d’une nouvelle société plus juste, donnant de meilleures chances à tous ses citoyens d’accéder à une plus large part de bien-être matériel, de liberté responsable, d’autonomie, de participation à la vie civique.  Voilà pourquoi, à son arrivée au pouvoir en 1976, il déclencha tout un train de réformes sociales et politiques qui, dans l’ensemble, bonifièrent la condition générale de la population.

Mais, dès 1974, à la faveur de l’option « étapiste », la quête immédiate et première du pouvoir de gouverne se montra déjà la tête, avec toutes les composantes stratégiques qu’elle réclame.  Il s’agissait maintenant avant tout de se faire élire comme « bon gouvernement » en reléguant à l’arrière-plan, ou même en le voilant de façon plus ou moins subtile, l’objectif de la souveraineté du Québec, quitte, une fois élu, à tenter d’y parvenir par un référendum.  Pour des raisons stratégiques, on a fait la campagne électorale de 1976, en taisant le plus possible l’idée de l’indépendance et, arrivé au pouvoir, on a continué dans la même veine.

Ce fut le début d’une transformation graduelle du Parti québécois en un parti de plus en plus stratégique, sauf pour l’objectif de l’indépendance politique qu’il maintient toujours en tête de son programme et qui seul, à cause de son caractère radical de changement, lui permet encore présentement de se définir comme parti idéologique.

Effectivement, le Parti québécois a vécu quelques campagnes électorales et dix-huit ans de pouvoir gouvernemental sans promouvoir vraiment l’idée de l’indépendance, en employant toutes sortes d’arguties du genre des « conditions gagnantes » pour repousser un référendum le plus loin possible, en réussissant le tour de force, pour un parti censément idéologique, de gouverner à peu près comme les partis authentiquement stratégiques, avec sensiblement les mêmes préoccupations et le même désir premier de se maintenir au pouvoir.  Cette évolution du Parti québécois confirme à sa manière la loi sociologique énoncée plus haut, à savoir que plus un parti politique est vieux et a goûté au pouvoir, plus il devient stratégique.

Pas étonnant dès lors que le Parti québécois, à cause de cette marche pratiquement inéluctable vers l’approche stratégique, ait dilué de plus en plus ses projets idéologiques de nouvelle société globale, au point d’en rendre difficile à ses militants et à la population la reconnaissance dans son programme.  Cela explique en grande partie l’affaiblissement marqué de son membership, qui est passé de 310 000 membres en 1980 à quelque 50 000 en 2005, et surtout l’émergence de nouveaux partis plus proprement idéologiques comme l’Union des forces progressistes (UFP) et Option citoyenne, pour combler le vide de la pensée créatrice créé par le Parti québécois.

Pas étonnant non plus que les congrès nationaux du Parti québécois antérieurs à celui de juin 2005 qui entraîna la démission de son chef Bernard Landry se soient préoccupés surtout de stratégie électorale ou référendaire, se soient livrés à des empoignades sur des questions de tactiques, de procédures, de date du référendum, jugées essentielles par les militants du parti mais somme toute plutôt secondaires aux yeux de l’ensemble des citoyens.

À l’instar des vieux partis stratégiques, il a fallu que le Parti québécois soit défait à la dernière élection et remisé dans l’opposition pour qu’il se décide à instaurer une « saison des idées ».  La belle affaire!  Comme s’il y avait un temps spécial (celui, évidemment, passé dans l’opposition!), une « saison » pour penser, à l’égal de certaines plantes saisonnières qui ne poussent qu’en un temps particulier!  En général, les partis politiques au pouvoir n’aiment pas trop la vie intellectuelle dérangeante.  Dans les moments difficiles d’une défaite, ils viennent y toucher de leurs ailes (l’aile d’une commission politique, par exemple), s’y ébrouer quelques instants, à la façon des oiseaux dans un ruisseau.  Comme si l’intelligence n’était là que pour des idées abstraites, nébuleuses, hors de la réalité quotidienne, et ne pouvait s’exercer à construire des projets sociaux et politiques concrets et féconds, répondant véritablement aux besoins des citoyens et suscitant leur adhésion générale.

Parmi les partis dénommés idéologiques, j’inclus aussi le Nouveau Parti démocratique (NPD).  À l’origine, comme tous les partis de cette nature, ses positions étaient nettes, bien tranchées.  Mais pour autant que, dans certaines provinces canadiennes, il avait plus de chances d’être élu et où effectivement il a conquis le pouvoir gouvernemental, il a dû mettre de l’eau dans son vin, adoucir les arêtes de son programme, édulcorer sa doctrine de parti.  C’est là une autre loi de l’évolution des partis politiques : plus un parti idéologique se voit des possibilités concrètes d’accéder au pouvoir et en fait y parvient, plus il atténue la force de son idéologie et y entremêle des éléments d’ordre stratégique[3].  On l’a constaté, par exemple, dans les années de pouvoir présidentiel du Parti socialiste de France.

À l’inverse, moins il croit en ses chances réelles de parvenir au pouvoir, ne serait-ce que dans l’opposition officielle, plus un parti idéologique peut maintenir la pureté de sa doctrine et de son programme et y insister fortement.  C’est le cas de tiers partis naissants comme l’Union des forces progressistes (UFP) et Option citoyenne.  Ils n’ont pas gros à risquer de mettre en évidence leur idéologie, puisqu’ils n’escomptent en définitive qu’un très petit nombre de candidats à faire élire.  Dans le but de se démarquer des autres partis plus anciens, plus puissants et plus stratégiques, l’Action démocratique du Québec (ADQ) se veut également un parti idéologique.  Mais ces dernières années, à cause d’une popularité accrue, explicable surtout par la défaveur qu’a ressentie l’électorat à l’égard des vieux partis enclins davantage à la stratégie, l’ADQ s’est mise à espérer un plus grand nombre de candidats élus. Son idéologie s’en est ressentie.  Plus franche et incisive à son origine, elle est devenue plus ondoyante, variable, caméléonesque durant la campagne électorale.  Résultat net : l’ADQ est retombée au rang de tiers parti faible sur la scène québécoise et se voit condamnée ou bien à raffermir sa position idéologique, quitte à demeurer aux franges de la vie politique, ou bien à devenir de plus en plus un parti stratégique.

Le Bloc québécois à Ottawa représente un cas d’espèce tout à fait inédit.  Nous sommes là en présence d’un parti arrimé directement au projet de souveraineté politique du Québec, qui le rend parti idéologique comme le Parti québécois.  Son but ultime n’est autre que de préparer à Ottawa la voie à l’indépendance du Québec et, en attendant, de défendre le mieux possible ses intérêts sur la scène fédérale.  Voilà pourquoi il ne peut absolument pas envisager le pouvoir de gouverner le Canada et pourquoi aussi il a été créé dans une perspective strictement temporaire.  Le « grand jour » arrivé, il disparaîtra.

Pour autant, cela libère le Bloc québécois de la préoccupation stratégique de vouloir rechercher le pouvoir gouvernemental.  Ce désintérêt forcé du pouvoir permet, en grande part, de comprendre pourquoi le Bloc québécois, ces derniers temps, a contribué, hors de la scène électorale, à l’approfondissement des idées relatives à l’indépendance politique du Québec, beaucoup plus largement et plus créativement que le Parti québécois lui-même, adonné et rivé qu’il était à ses intérêts stratégiques de pouvoir gouvernemental à décrocher ou à consolider.

Par contre, le Bloc québécois désire le pouvoir relatif d’une représentation la plus nombreuse possible au Parlement fédéral.  On ne peut le lui reprocher.  Mais cette quête explique une certaine contamination stratégique de son idéologie première.  Dans ses campagnes électorales, il tend à occulter, du moins à mettre en sourdine, l’objectif de la souveraineté politique du Québec pour ne pas apeurer l’électorat et obtenir le plus d’élus possible.  Dans l’hypothèse où le délai pour l’accession à l’indépendance du Québec se prolongera de plus en plus, il est à parier que le Bloc québécois se fera de plus en plus stratégique et voilera de plus en plus son idéologie souverainiste.

Course à la direction d’un parti

L’existence de partis politiques entraîne généralement des courses à leur direction.  Les partis ont besoin d’un chef pour en assumer le leadership.  Si plusieurs candidats se présentent à la direction, se crée ipso facto une atmosphère de lutte, de rivalité, de guerre entre eux.  Étant donné qu’un chef de parti jouit d’un grand pouvoir sur son orientation et sur ses membres et que, dans notre régime parlementaire, il est appelé automatiquement, si le parti obtient la majorité électorale, à gouverner le pays ou la province, la course à la direction équivaut à une grande bataille pour le pouvoir.  L’expérience de la vie nous démontre clairement ce que signifie et amène une telle bataille.  Inévitablement, des factions se forment à l’intérieur du parti pour appuyer leur candidat et le faire triompher.  De là à se livrer à toutes sortes de jeux de coulisses, à des manigances, du magouillage, des pressions indues sur les membres, du trafic d’influence, il n’y a qu’un pas maintes fois facilement franchi.

Les vieux partis stratégiques nous en ont fourni plusieurs illustrations.  À l’annonce d’une course à la direction, on entreprend une chasse effrénée à de nouveaux membres qu’on embrigade ou dont on paie même la cotisation, simplement pour faire nombre.  Parfois, en échange de nominations ou de contrats à venir, on collecte de façon occulte, chez des compagnies, firmes ou agences, des fonds considérables pour financer la campagne à la chefferie de tel candidat.

Jean Chrétien avec ses alliés et Paul Martin avec son clan s’engagent dans une guerre larvée et vicieuse L’un pour garder le plus longtemps possible ses postes de chef du parti et de premier ministre, l’autre pour lui succéder sans délai, ils se donnent allègrement des coups de poignard dans le dos.  Au Parti québécois aussi, après la défaite de Bernard Landry aux élections de 2003, on exécute des manœuvres, quelques-unes ouvertes, d’autres secrètes, pour le forcer à démissionner.  Quelque temps avant le dernier congrès national, on a même orchestré sur Internet une sortie anonyme de dénigrement à son endroit.  Bref, quand s’amorce une course à la direction d’un parti politique susceptible de prendre le pouvoir, on peut s’attendre à toute une série d’actes plus ou moins honorables, générés par le climat franchement belliqueux qu’elle suscite dans sa dynamique même.

D’autre part, les partis politiques n’ouvrent pas toujours une course à leur direction.  Surtout dans les moments difficiles et lorsque se profile à l’horizon une figure plus marquante, dotée d’un certain charisme et auréolée de notoriété publique, surgit alors dans leurs rangs le réflexe,  plutôt infantilisant à mon avis, de faire appel sur-le-champ à un sauveur et à un Messie pour les renflouer et les conduire enfin à la victoire électorale.  Ce recours à un héros messianique s’effectue généralement de manière impulsive, sans exercer d’esprit critique à son endroit.  Les partis politiques risquent alors une grande déception, comme l’ont démontré les récents épisodes du couronnement des « sauveurs » Lucien Bouchard et Jean Charest.  Obnubilés par leur défaite électorale ou référendaire, le Parti libéral et le Parti québécois se sont jetés littéralement aux bras de leur Moïse, dans l’espoir qu’il leur fasse traverser le désert de leur échec et atteindre enfin la Terre promise.

Nous avons affaire là à un geste hautement significatif.  Ce réflexe de recourir à un Messie libérateur, accepté inconditionnellement sans le soumettre à un examen, témoigne chez les partis politiques d’une immaturité toujours présente, les poussant à confier aveuglément leur sort dans les mains d’une seule personne élevée au rang de démiurge.  L’enfant a besoin de percevoir son père comme un héros sauveur et d’interagir avec lui dans cette optique dépendante.  Souvent les partis politiques ressentent aussi ce besoin d’un chef messianique.

Du reste, ce réflexe d’appeler au secours d’un Messie est, à mon sens, particulièrement fort dans la société québécoise, au moins pour deux raisons, d’ailleurs paradoxales.  D’abord, le Québec a vécu, dans son histoire sociale et politique, plusieurs échecs retentissants, à commencer par celui, traumatisant, de la Conquête anglaise.  Imbu qu’il était, et qu’il demeure encore largement, de croyances religieuses judéo-chrétiennes, le Québec présente toujours le syndrome de l’appel au Sauveur miraculeux.  Cette première explication nous reporte au passé et à l’atavisme culturel québécois.

La deuxième concerne davantage le présent.  Depuis quelques décennies, le Québec s’illustre, particulièrement dans les arts de la scène.  Dans ce domaine, il a remporté des victoires éclatantes et obtenu des succès internationaux.  Sous l’influence de l’empire médiatique américain qui étend ses tentacules sur notre propre culture, il s’est développé chez nous un culte des « fan clubs », des vedettes, des stars, des idoles de la scène artistique qui symbolisent la victoire de notre peuple.  Ce culte se transpose aisément sur la scène publique, dans la recherche que poursuivent les partis d’une vedette, d’un Messie qui assurera leur victoire politique.  Je reviendrai plus longuement sur ce thème dans le chapitre sur la quête de l’image.

Le chef de parti en campagne électorale

Les partis politiques acceptent donc sans concurrence ou s’élisent le chef qui leur garantira les meilleures chances d’un triomphe électoral et d’une prise du pouvoir.  Ce nouveau leader jouit alors d’énormes avantages et peut exercer une influence considérable sur les membres du parti.  C’est tout spécialement vrai lorsque se prépare et s’amorce une campagne électorale.  Nonobstant la structure interne du parti et ses règlements qui peuvent, du moins théoriquement, faire contrepoids au pouvoir du chef, ce dernier, quand effectivement on se lance dans une élection, a tendance à user de tout son prestige et de toute son influence pour infléchir les membres dans sa propre direction.  Parfois d’ailleurs, à l’encontre même des orientations maîtresses du programme du parti.  Bien des analystes et reporters politiques l’ont remarqué : les chefs peuvent prendre une bonne distance avec le programme quand vient le temps de rédiger la plate-forme électorale de leur parti.

Dans leur souci premier de remporter l’élection et d’accéder au pouvoir, les chefs de parti se mettent à pourchasser des candidats prestigieux.  La démarche est légitime et de bonne guerre; elle est commandée par l’existence même des partis politiques qui ne peuvent agir autrement s’ils veulent atteindre leur objectif de victoire.  Quand ces candidats prestigieux sont en outre méritants, et démontrent des qualités remarquables d’intégrité, de dévouement civique, d’intelligence de la vie sociale, cela ne pose aucun problème, loin de là!  Mais il arrive aussi que de tels candidats jouissent d’un prestige populaire qui ne soit nullement le fruit d’une excellente capacité à exercer de larges responsabilités politiques.  Leur prestige ne peut tenir qu’à une espèce de vedettariat de l’image, souvent très éphémère, auquel sont bien sensibles les partis politiques dans leur quête du pouvoir.  Ces candidats sont alors recherchés et agréés par le chef beaucoup plus pour faire gagner le parti aux élections qu’en raison de leur mérite personnel.

On sacrifie ainsi aux intérêts du parti (ceux de la victoire électorale!) un certain nombre de candidats, beaucoup plus solides et expérimentés mais moins connus du public, qui seraient enclins à se présenter aux élections s’ils pouvaient le faire à titre purement personnel et s’il n’existait aucun parti politique.  Sans compter qu’actuellement, en raison même de la structure et de la dynamique des partis qui visent avant tout le pouvoir, d’autres candidats méritants qui en auraient le goût et la capacité ne pensent même pas à briguer le poste de député simplement parce qu’ils sont assurés d’avance que leur parti va subir la défaite dans le comté ou perdre l’élection générale.

Dans leur approche de candidats prestigieux, le parti et son chef, à cause du présent système politique, sont en mesure de les aguicher, en leur faisant miroiter la certitude, du moins la possibilité, de devenir ministres, avec tous les pouvoirs et privilèges (y compris la limousine et le chauffeur!) attachés au poste.  Ou encore d’être nommés conseillers parlementaires avec émoluments supplémentaires.  Ou, s’ils ne sont pas élus, ils peuvent décrocher un poste quelconque dans le cabinet politique d’un ministère ou l’autre.  L’acceptation par un candidat prestigieux d’une telle offre de pouvoir et d’argent n’entraîne pas forcément sa corruption.  Le plus souvent, j’imagine, elle n’attente pas à l’intégrité de sa démarche, à la sincérité de ses intentions, à l’expertise de son action politique.

Mais certains peuvent succomber assez facilement (la nature humaine étant ce qu’elle est!) aux attraits d’une offre si alléchante et, dans leur aspiration au pouvoir, se laisser guider davantage par un profit individuel que par l’intention de servir le bien public.  Et puisque leur intérêt personnel se loge alors en dépendance de la bonne volonté du chef et du parti, ils seront tout prêts comme députés à se consacrer entièrement à leur service et à en devenir les fidèles vassaux.  À moins qu’un autre chef de parti n’intervienne et ne propose quelque chose d’encore plus titillant!  Un député de cette trempe (on l’a vu dans le cas désormais célèbre de Belinda Stronach) ne se ferait pas faute de tourner sa veste, d’abandonner son chef de parti pour s’inféoder à un autre.

Officiellement, et la plupart du temps, les candidats sont choisis par les assemblées de comté, sous-structures du parti.  C’est là un triomphe certain de la démocratie.  Mais parfois elles donnent lieu à beaucoup de magouillage et de manœuvres plus ou moins discutables.  Surtout lorsque le candidat, par son âge, son sexe, sa couleur, ses idées, son appartenance culturelle, l’ensemble de sa personnalité ou toute autre raison, n’a pas l’heur de plaire aux officiers, au chef du parti et paraît compromettre à leurs yeux la possibilité d’une victoire dans le comté.  Le chef du parti intervient même à l’occasion pour refuser carrément une candidature et en imposer une autre, en faisant fi du droit des membres du comté de choisir leur propre candidat.  L’ancienne ministre libérale Sheila Copps a vécu cette expérience, lorsque son chef l’a écartée de son comté pour donner la place à un autre.

Il existe une autre situation où le chef et les officiers du parti utilisent leur pouvoir discrétionnaire dans une perspective purement électoraliste.  À cause de la présence de plusieurs partis politiques se livrant la lutte en vue de la victoire électorale, certains comtés sont perdus d’avance, pour ainsi dire. D’autres appartiennent quasi de droit à tel parti plutôt qu’à tel autre; l’électorat lui est conquis d’emblée, en raison de son histoire, de sa composition ethnique ou linguistique, ou pour toute autre cause.  Le chef de parti assigne aux comtés perdus d’avance des candidats qui ont de moindres chances d’être élus dans un autre comté plus sûr.  On aime mieux réserver les comtés gagnants à des candidats prestigieux qui, s’il le faut, y seront même parachutés.  Ce n’est pas là le plus bel exemple de démocratie qui soit!  Tout cela entraîne une déperdition des forces politiques d’un pays.  Des personnes méritantes prêtes à servir le public ne le peuvent pas, précisément parce que plusieurs partis fractionnent ainsi les circonscriptions électorales et font que certaines deviennent d’avance gagnantes ou perdantes.

Le chef de parti au pouvoir

Une fois parvenus au pouvoir, le chef de parti et son cabinet ministériel ont forcément tendance à s’éloigner du parti et de son programme et à diriger la société selon leur propre orientation.  Car la gouverne d’un pays n’obéit pas du tout aux mêmes exigences que celles qui s’imposent à un parti.  Ce phénomène d’une distance qui se creuse entre un parti et ses dirigeants au pouvoir est lié structurellement à l’existence même des partis politiques et leur est donc commun à tous, selon des degrés cependant variables.  Et plus un parti se taille un programme tranchant, novateur et progressiste, plus cette distance risque de s’agrandir entre le parti et son gouvernement[4].  C’est ce qui explique que les chefs de partis sont enclins à favoriser un programme plus vague, sujet à diverses interprétations, qui puisse leur ménager une plus grande latitude une fois au pouvoir.  Quand un parti a subi la défaite, son chef, précisément pour récupérer le pouvoir, encourage ou du moins accepte plus facilement une certaine rénovation du programme, dans des limites toutefois qu’il veut « raisonnables ».  Par ailleurs, plus les chefs de parti sont longtemps au pouvoir, moins la question se pose d’un écart entre eux et le programme puisque, d’une part, celui-ci tend à s’évaporer et que, d’autre part, le chef dilue ce qu’il en reste en pures stratégies gouvernementales.  Dans une longue période de pouvoir, le chef a tendance à se proclamer le parti et celui-ci à s’identifier au chef.  Le parti ne reprend son identité qu’à la faveur d’une campagne électorale où alors le chef de gouvernement n’existe plus.

En toute occurrence, le parti peut difficilement exercer, quand elle subsiste encore, sa force de pression sur son gouvernement pour l’inciter à des mesures politiques de changement qui iraient dans la voie de son programme.  Le chef, quand il ne s’identifie pas au parti lui-même, reste coincé entre la société qu’il gouverne et son propre parti.  Cette position  inconfortable l’invite à la « prudence » des atermoiements, voire à l’inertie et à l’immobilisme.

Par ailleurs, si d’aventure le parti demeure vigoureux et combatif, il peut même en arriver jusqu’à provoquer la démission de son chef, comme ce fut le cas de René Lévesque en 1985.  Une telle pression du Parti québécois sur son chef au pouvoir n’infirme pas du tout la position définie plus haut.  Au contraire, elle la confirme sans équivoque.  C’est précisément parce que le gouvernement péquiste avait établi ses distances d’avec le programme que le Parti québécois, incapable d’infléchir dans son sens à lui la politique gouvernementale, s’en est pris à son propre chef.

Les nominations partisanes

Les nominations partisanes représentent un autre exemple de la perversion qu’entraînent les partis politiques, une fois arrivés au pouvoir.  Ennemis qu’ils sont de naissance, les partis ne peuvent penser et agir de la même manière.  Ils ne peuvent faire converger leurs décisions et leurs pratiques.  Ils ne peuvent recruter dans les rangs adverses.  Voilà pourquoi, à peine hissés au pouvoir, le chef et ses ministres mettent aussitôt en branle tout un train de nominations partisanes.  Les cabinets politiques des ministères font peau neuve.  La plupart du temps, se pointent de nouveaux sous-ministres, parfois même avec de nouveaux adjoints.

Comment expliquer ces fournées de nouvelles têtes dirigeantes et de conseillers politiques frais arrivés?  C’est fort simple, me dira-t-on.  Un nouveau parti vient d’être élu, il lui faut bien travailler dans un climat de confiance et se solidarité.  Il faut donc que le haut personnel change et lui soit totalement acquis.  Soit, mais qu’est-ce qui empêche qu’une personne qui a travaillé avec compétence et intégrité pour quelqu’un puisse continuer de le faire pour un autre, si ce n’est le simple fait que le premier était membre d’un parti politique et que le second appartient à un autre?  Dans la structure gouvernementale actuelle, les hauts conseillers et dirigeants de ministères sont là, sauf de rares exceptions[5], à titre de représentants d’un parti politique.  Quel scandale, quelle aberration si, de façon générale, les sous-ministres et les conseillers politiques continuaient d’exercer leur fonction sous divers partis politiques!  Dans la conjoncture présente, c’est proprement inconcevable.  Pourquoi?  Tout bonnement parce que les partis politiques existent, qu’ils doivent au départ se confronter, devenir des adversaires, être forcés pour ainsi dire d’œuvrer avec leurs propres militants.  Pourtant, la fonction publique, dans ses échelons intermédiaires et inférieurs, nous démontre clairement qu’il est possible de maintenir son poste malgré des changements de parti au pouvoir.  Ces fonctionnaires peuvent le faire précisément parce qu’ils ne sont pas embauchés en tant que membres d’un parti.  Ils le sont simplement en raison de leur mérite personnel.

On trouve d’autres domaines où les nominations partisanes ont libre cours.  Les chefs d’un parti au pouvoir choisissent aisément des anciens ministres ou députés, des militants actuels ou du passé pour les postes vacants du Sénat.  Ou encore ils les nomment à des fonctions d’ambassadeur (le cas Gagliano est typique!), de juge, de président-directeur général de grandes sociétés d’État ou d’organismes publics d’envergure nationale.  Pour justifier ces nominations, on invoque souvent les bons offices qu’ont rendus au parti de telles personnes, la loyauté et la fidélité dont elles ont fait preuve envers lui.  Elles ont grandement mérité de lui; il le leur rend bien par ces récompenses à la fois prestigieuses et lucratives.

Dans l’optique d’un parti politique, il est à noter que la loyauté à toute épreuve est considérée à peu près comme la vertu suprême qu’un partisan puisse pratiquer à son égard.  Inversement, quelqu’un de déloyal commet une sorte de sacrilège dont il devrait avoir honte et que le parti lui fera regretter toute sa vie.  Peu importe souvent que la fidélité au parti se soit maintenue chez certains au moyen de pratiques plus ou moins douteuses.  Ils sont restés militants du parti envers et contre tout; le parti reconnaîtra ce haut fait d’une façon ou d’une autre.

Ainsi donc, les partis politiques via leur chef au pouvoir et ses ministres procèdent sans sourciller à des nominations partisanes.  À leurs yeux, il est normal et même impératif qu’ils le fassent.  Et ils ont bien raison!  Car il est de la dynamique même des partis politiques d’agir de la sorte.  Sans quoi le chef risquerait de compromettre sérieusement leur cohésion interne, leur force, leur influence auprès de la population.  Rien d’étonnant dès lors que tous les partis politiques au pouvoir se soient adonnés à des nominations partisanes.  Ils l’ont toujours fait jusqu’ici et ils continueront sans cesse de le faire tant qu’ils se perpétueront, et quelle que soit l’idéologie qu’ils prônent, quel que soit le programme électoral dont ils accouchent.  La partisanerie, ainsi érigée en système parce qu’elle découle en droite ligne des exigences mêmes d’un parti politique, se trouve bien loin alors de mettre à contribution les meilleurs actifs d’une société et d’en favoriser le plein épanouissement démocratique.

Le bâillon gouvernemental

Un autre phénomène politique survient assez fréquemment à la fin d’une session de l’Assemblée parlementaire ou de la Chambre des Communes : celui du bâillon imposé par le parti gouvernemental aux députés de l’opposition pour étouffer leur droit de parole.  Là encore, cette mesure antidémocratique émane directement de l’existence même de partis politiques.  C’est parce qu’il y a un parti au pouvoir et qu’en face s’agitent des partis d’opposition dont le rôle, la plupart du temps, consiste à rejeter systématiquement les propositions du gouvernement que celui-ci se croit obligé de les réduire au silence en fin de session.  Le parti gouvernemental veut absolument faire passer des projets de loi qu’il juge importants.  Il reste peu de temps disponible et les partis adverses sont prêts à faire obstruction en étirant leurs palabres contrariantes.  Intervient alors la décision du chef de parti au pouvoir de juguler l’opposition en la forçant à rester muette.

En raison de la présence de divers partis politiques, l’Assemblée parlementaire se mue nécessairement en champ de bataille, en lieu d’affrontement continuel.  La logorrhée y abonde, souvent oiseuse, criarde ou même injurieuse.  Au lieu de travailler ensemble à l’étude et à l’amélioration des projets de loi, les députés se chamaillent, usent de rouerie pour tendre des pièges et asséner des coups bas à l’ennemi.  En de rares circonstances se rallient-ils pour le bien commun de la société, en adoptant ensemble des déclarations, mesures ou projets de loi.  Le plus souvent, ils cherchent à se faire obstacle.

Il est très significatif qu’un parlementaire soit estimé d’autant plus brillant et solide qu’il peut, par son verbe abondant et incisif, mettre l’adversaire en boîte et lui clouer le bec.  Dans ce contexte, les débats parlementaires ressemblent davantage à des plaidoiries de cour pour faire tomber et condamner la partie adverse qu’à des discussions intelligentes et honnêtes pour parvenir ensemble à un meilleur aménagement de la société.  Pas étonnant dès lors que la parole soit parfois bâillonnée!

Un gouvernement minoritaire

La lutte de plusieurs partis sur la scène électorale provoque à l’occasion la formation d’un gouvernement minoritaire.  Il ne peut survenir que grâce à la présence et à l’affrontement d’une pluralité de partis politiques.  Je ne veux pas insinuer par là qu’un gouvernement minoritaire est nécessairement mauvais et qu’il ne peut engendrer qu’inertie, confusion et troubles.  Au contraire, il peut parfois être la source de mesures et de lois favorisant le bien-être public.

Là n’est pas la question. Le problème se pose lorsque le parti gouvernemental en place se voit menacé de tomber sous les coups des partis adversaires.  Quand un gouvernement minoritaire s’écroule par inadvertance ou manque de prévoyance, comme c’est arrivé pour le gouvernement Clarke, la chute du régime se fait sans trop de dégâts.  Mais si les partis d’opposition dévoilent clairement leur objectif de renverser le parti au pouvoir, si ce dernier perçoit sans équivoque cette intention et voit se profiler à l’horizon la réelle possibilité d’une défaite, alors se compliquent drôlement les choses et accourent en grand nombre les méfaits que génèrent les partis politiques et leurs luttes à la fois inévitables et implacables.

On l’a vu à l’évidence et à satiété dans l’épisode récent du gouvernement libéral de Paul Martin en danger de s’affaisser sous les jabs du Parti conservateur et du Bloc québécois.  J’emploie le mot « jab » à dessein, car c’est d’un réel combat furieux de boxe qu’il s’agissait.  Le Parlement était devenu un véritable ring!  Les coups pleuvaient, assortis d’accusations réciproques, d’injures, d’esquives plus ou moins maladroites.  Entre les rounds se tramaient chez le Parti libéral toutes sortes de tactiques et de manœuvres pour éviter la défaite.  Les unes, carrément opportunistes, comme la fabrication d’un nouveau budget pour s’adjuger l’appui du Nouveau Parti démocratique, comme l’engagement de Paul Martin à déverser plus d’une vingtaine de milliards en ondée bienfaisante pour les provinces.  Les autres, de caractère troublant et effronté, comme le soi-disant exploit d’avoir amené une membre du Parti conservateur à renier son allégeance et à entrer ainsi dans le cabinet ministériel, ou encore comme les tractations entre des officiers supérieurs du Parti libéral et un député conservateur pour qu’il puisse quitter les rangs de son parti.

Étant donné qu’une Assemblée parlementaire n’est pas normalement une arène de boxe, le spectacle fut à bon droit jugé par l’ensemble de la presse et par le public en général comme du vaudeville également grotesque et honteux, apte on ne peut plus à faire grandir encore le taux de cynisme et de mépris envers les politiciens et leurs partis politiques.  Ainsi que l’affirmait Denise Bombardier dans une de ses chroniques du Devoir, « ceux qui nous dirigent donnent à penser que toute considération pour le bien public est inféodée à l’intérêt partisan et personnel. »  Ou encore on dirait que « s’accrocher au pouvoir à tout prix et même renverser le pouvoir à tout prix est la seule conviction qui perdure. »[6]  Cette scène ubuesque jouée récemment par le gouvernement minoritaire en passe de chuter et par les députés d’opposition montre bien à sa manière que les partis politiques sont là avant tout pour arriver au pouvoir et s’y cramponner le plus longtemps possible.  Heureusement que, à force de le vouloir, ils se minent graduellement eux-mêmes et dans l’opinion publique.

La quête directe et immédiate du pouvoir m’apparaît donc comme essentielle à la structure même et à la dynamique des partis politiques.  C’est d’elle que découle d’abord un ensemble de méfaits qui, en plus de vicier le comportement des partis, compromettent sérieusement la santé de la démocratie.  La recherche première du pouvoir représente l’orientation la plus fondamentale des partis politiques.  Elle entraînera à sa suite d’autres orientations connexes, elles-mêmes porteuses de fruits amers et de conséquences néfastes pour la société.

»» lire la suite du livre

Notes de bas de page :

[1] Voilà pourquoi ils disparaissent si facilement, parfois après une brève existence.  Un parti politique, suite à de vaines tentatives d’acquérir au moins un certain degré de pouvoir politique, se décourage aisément et plie bagages pour rentrer dans l’histoire.  La liste nécrologique des partis serait très longue.  Mentionnons à titre d’exemples : l’Union nationale, les Partis créditistes québécois et fédéral, le Parti socialiste du Québec, l’Alliance canadienne et le Parti conservateur-progressiste (quelle jolie contradiction dans les termes!) qui ont fusionné pour devenir le Parti conservateur, etc.

[2] Dans cette situation, il est certainement possible que des personnes se pointent devant l’électorat, peu soucieuses du bien commun, mues par des intérêts principalement individuels.  Ce sera aux électeurs de juger de la sincérité de leurs intentions, de leur volonté de servir le peuple.  J’y reviendrai dans la deuxième section de l’ouvrage.

[3] Cette loi vaut évidemment pour les seuls régimes démocratiques à plusieurs partis.  Elle ne s’applique pas aux régimes autocratiques, dictatoriaux, à parti unique, comme dans les anciens pays communistes ou le Cuba actuel.  D’où le paradoxe suivant : la lutte « démocratique » dans laquelle s’engagent plusieurs partis politiques favorise clairement l’approche purement stratégique qui, elle, va souvent à l’encontre de la vraie démocratie.

[4] On peut comprendre alors pourquoi le Parti québécois vit le problème de ses rapports avec son gouvernement de façon plus aiguë et frileuse que tout autre parti.  Ses militants sont reconnus comme plus incisifs, vigilants, engagés politiquement et friands de débats idéologiques que ceux des vieux partis stratégiques.

[5] On peut relever, par exemple, les cas de Jacques Parizeau et Louis Bernard qui, à titre de hauts fonctionnaires, ont travaillé sous des gouvernements de partis différents.

[6] Le Devoir, 21-22 mai 2005, p. B5.

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