« Delenda est Carthago ». Caton l’Ancien terminait tous ses discours au Sénat et devant la population romaine par cette exhortation pressante : « il faut détruire Carthage ». Cette ville africaine représentait une menace pour Rome; on devait la rayer de la carte. Semblablement, les partis politiques, par les nombreux méfaits qu’ils infligent à la société, constituent davantage un obstacle à sa vie démocratique qu’une garantie de son épanouissement. Il faut donc les abolir!
On ne peut attendre raisonnablement des partis politiques actuels qu’ils se déterminent eux-mêmes à décréter leur propre mort. Ils sont trop avides de leur pouvoir pour cela! Ce serait pratiquement un miracle s’ils le faisaient. Il leur faudrait une pression formidable de l’opinion publique pour qu’ils s’y résignent. En effet, je crois que c’est seulement le poids de la population, de plus en plus insatisfaite et dégoûtée des partis politiques, qui soit en mesure de faire pencher la balance en faveur de leur disparition.
L’abolition des partis politiques doit être totale. Il n’est pas question d’en éliminer seulement quelque-uns estimés mauvais et nuisibles pour en sauvegarder l’un ou l’autre jugé meilleur et plus bienfaisant. Ce serait là pratiquer de la discrimination et de la tyrannie idéologique. Sans compter que s’il restait uniquement deux ou trois partis, le système politique demeurerait encore fondamentalement vicié et le projet de nouveau régime que je mets de l’avant serait entièrement faussé. Il est encore moins question, évidemment, de n’en garder qu’un seul. On retomberait ainsi dans la dictature d’un parti unique, dont finirent par se débarrasser à peu près tous les pays de la planète qui y étaient soumis.
Il faut donc abolir d’un seul coup tous les partis politiques. Pas seulement éliminer les présents mais aussi empêcher d’avance l’éclosion de futurs, de ceux qui voudraient un jour se montrer la tête. Autant dire que l’abolition de tous les partis politiques, actuels et à venir, doit être juridique. Elle ne doit pas provenir d’un décret quelconque émis par la seule volonté d’une ou de plusieurs personnes et donc facilement révocable. Il lui faut au contraire être l’objet d’une loi en bonne et due forme, avec tous les caractères inhérents à cet acte juridique. Mais même une loi officielle peut disparaître à un moment donné, remplacée par une autre loi qui l’abroge. Pour éviter cette éventualité d’une loi malencontreuse qui viendrait effacer la loi précédente sur l’abolition des partis politiques et ainsi faire choir de nouveau dans leur piège tout le régime gouvernemental, il devient alors nécessaire que la loi sur l’élimination des partis politiques jouisse d’un statut constitutionnel, fasse partie d’une nouvelle Constitution gouvernant le Québec. Il est beaucoup plus difficile d’amender une Constitution, d’en faire disparaître un élément important. On assurerait par là la solidité, voire la pérennité de la loi sur l’abolition des partis politiques.
C’est dans la confection d’une nouvelle Constitution pour le Québec que l’opinion publique peut notamment exercer toute son influence en faveur de la disparition des partis politiques. Dans son projet d’un Québec souverain, le Parti québécois prévoit que bientôt devra s’écrire une nouvelle Constitution apte à fixer les paramètres structurels et fonctionnels d’un pays désormais indépendant. On a même lancé l’idée d’une participation active de citoyens ordinaires à la rédaction de cette Constitution. L’idée est à retenir et à encourager. L’occasion serait donc belle aux citoyens de s’impliquer grandement dans cette œuvre constitutionnelle et de peser de tout leur poids pour que le nouveau document inscrive un article sur la prohibition des partis politiques présents et la défense d’en créer de nouveaux. Dans l’hypothèse, que je souhaite vivement, où cette transformation radicale se produirait, il faudrait aussi de toute nécessité inclure dans la Constitution les éléments majeurs, proposés ci-dessous, du nouveau régime politique qui en découlerait.
Il va sans dire que l’abolition des partis politiques promulguée dans une nouvelle Constitution ne peut s’effectuer sans l’accession du Québec à la souveraineté d’un pays. Il apparaît proprement impensable que le Québec puisse subsister et fonctionner sans l’appareil des partis politiques, tout en demeurant dans le giron de la Confédération canadienne. Celle-ci, en vertu de sa propre Constitution, n’admettrait jamais que le Québec, encore une de ses provinces, se départe d’un système politique régi par un parti gouvernemental avec son cabinet ministériel, en face de qui se tient un parti d’opposition officielle.
Le régime parlementaire britannique, tel qu’il existe présentement, postule dans sa nature même le jeu de partis politiques se bataillant et se succédant dans une lutte continuelle. On ne peut espérer l’acceptation par le gouvernement canadien d’un Québec provincial libéré de ses partis politiques. Cela irait à l’encontre de son propre système fédéral, signifierait pour le Québec un statut très particulier parfaitement étranger à celui des autres provinces et auquel on ne manquerait pas de s’objecter. Sans compter que l’abolition au Québec des partis politiques représenterait pour Ottawa l’insertion d’une tonne de sable dans ses rouages qui en fausserait, enrayerait même tous les mécanismes. Il n’y aurait pas là pire crime de lèse-majesté!
Il faut donc que le Québec devienne d’abord un pays indépendant pour escompter faire disparaître les partis politiques de son paysage. En ce sens, la possibilité d’une telle suppression des partis peut constituer pour le Québec une raison supplémentaire, non négligeable loin de là, de vouloir accéder à la souveraineté. Se débarrasser d’un fardeau lourd à traîner, mettre le Québec sur de nouvelles rails politiques le conduisant à une démocratie plus ouverte, plus libre et plus active pourrait être de nature, vraisemblablement, à susciter une plus forte adhésion des citoyens au projet d’indépendance du Québec.
D’ailleurs, il y a peu d’endroits dans le monde entier où le terrain soit aussi propice à l’abolition des partis politiques. Un pays déjà souverain qui, depuis des décennies, voire des siècles, fonctionne selon le système des partis et s’y est encrassé, peut difficilement envisager à plus ou moins brève échéance l’éventualité de leur disparition. D’autre part, à l’heure actuelle, il se trouve relativement peu de nations ou de portions de pays qui veulent acquérir l’indépendance politique. Le Québec est du nombre. De plus, il est suffisamment équipé en ressources humaines, en richesses matérielles et techniques, en puissantes institutions économiques et sociales pour oser se doter d’un nouveau régime politique abolissant les partis et se fondant sur une personnalisation plus forte de l’action civique et de la démocratie.